Arrêt n° 1017 du 25 mars 2014 (13-80.376) – Cour de cassation – Chambre criminelle

RESPONSABILITÉ PÉNALE

Rejet

Responsabilité pénale


Demandeur(s) : La société Gauthey


Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-2, 121-3, 222-19 et 222-21 du code pénal ainsi que des articles L. 4741-1, L. 4141-1 et suivants du code du travail, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

“en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré la société Gauthey coupable des délits de blessures involontaires par personne morale avec ITT supérieure à trois mois dans le cadre du travail et d’embauche de travailleur sans organisation de formation pratique et appropriée en matière de sécurité et l’a condamnée, en répression, à 5 000 euros d’amende ;

“aux motifs qu’en droit, le délit de blessures involontaires, prévu et réprimé par l’article 222-19 du code pénal, combiné avec les dispositions de l’article 121-3 auxquelles il renvoie suppose la maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négligence, ou le manquement à une obligation légale ou réglementaire de prudence ou de sécurité, lorsque l’auteur n’a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses missions, de ses fonctions ou de ses compétences, ainsi que de ses pouvoirs et moyens à sa disposition ; qu’en outre, la personne physique qui n’est pas à l’origine directe du dommage mais qui a seulement contribué à sa réalisation ou omis de prendre les mesures propres à l’éviter, doit avoir commis, pour être pénalement responsable, soit une violation manifestement délibérée d’une obligation légale ou réglementaire de sécurité, soit une faute caractérisée exposant autrui à un risque qu’il ne pouvait ignorer ; qu’en droit encore, une personne morale peut, par application combinée des articles 121-2, 221-7, 222-19 et 222-21 du code pénal être déclarée pénalement responsable du délit blessures involontaires commis par ses organes ou représentants, agissant pour son compte ; qu’en droit, enfin, les articles L. 4141-1 et suivants du code du travail, R. 4141-2 et suivants du même code prévoient que tout chef d’établissement est tenu d’organiser une formation pratique et appropriée en matière de sécurité, au bénéfice des travailleurs qu’il embauche et de ceux qui changent de poste ou de technique, une telle formation à la sécurité relative à l’exécution du travail ayant pour objet d’enseigner au salarié, à partir des risques auxquels il est exposé, les comportements et les gestes les plus sûrs en ayant recours, si possible à des démonstrations, de lui expliquer les modes opératoires retenus s’ils ont une incidence sur sa sécurité ou celle des autres salariés ; qu’en l’espèce, il ressort des auditions des différentes personnes et des pièces qui ont été fournies que M. X…, après avoir été affecté sur des chantiers de branchement plomb, avait demandé à son tuteur M. Y…, chef de centre, à pouvoir faire autre chose et celui-ci l’avait ainsi affecté sur le chantier où a eu lieu l’accident, cette affectation ayant commencé le lundi 10 mars, la journée du mardi ayant été consacrée à la mise en place du blindage en présence d’un représentant du fournisseur de cet équipement, opération pour laquelle selon le tuteur il s’était montré très intéressé ; que celui-ci dit être passé à nouveau sur le chantier la veille de l’accident soit le 12 mars et avoir rappelé la vigilance nécessaire en raison de risque de glissade à cause des pluies ; qu’il apparaît aussi que M. Z…, chef de secteur en présence de M. A… chef de chantier avait effectué le vendredi 7 mars 2008, soit avant l’arrivée de M. X… sur le chantier, au cours d’un « quart d’heure de sécurité » le rappel des consignes de sécurité sur la périphérie du chantier, sur la pose du blindage et sur les filets de protection de la tranchée ; qu’il apparaît encore que les consignes de sécurité consistent à toujours se tenir en principe à l’écart du rayon d’action de la pelle mécanique, mais lorsque le travail impose d’être dans ce rayon d’action, trois consignes très strictes doivent être suivies à savoir : que le conducteur de la pelle ne manoeuvreson engin que sur l’ordre donné par le chef de chantier, que les ouvriers n’entrent dans le rayon d’action de la machine qu’avec l’accord du conducteur de celle-ci, que ce dernier ne manoeuvre pas sans avoir les ouvriers à pied dans son champ de vision ; que, si après l’accident, ces consignes ont été assez correctement énumérées par les uns ou les autres, il n’apparaît pas pour autant qu’elles aient été clairement rappelées par M. X… lors de son arrivée sur le chantier, le chef de secteur indiquant leur avoir rappelé l’interdiction d’entrer dans le rayon d’action de la pelle, le chef de chantier ayant rappelé de faire attention à la pelle, mais non les consignes à suivre lorsque les tâches à accomplir impliquaient que des ouvriers à pied soient dans ce rayon, étant constaté que lors de l’accident, les tâches à accomplir impliquaient précisément que, outre les deux chefs de chantier, les ouvriers MM. B…, C… et X… fussent dans ce rayon d’action ;
que M. X… qui avait bénéficié le 27 septembre 2007 d’une formation aux principes généraux de sécurité à respecter sur les chantiers, étant affecté à un chantier comportant pour lui un changement de poste et de technique, il appartenait au chef d’entreprise ou à ses délégatoires d’assurer ou faire assurer la formation pratique appropriée au risque particulier d’emploi de cette pelle mécanique de grande taille sur un chantier comportant en outre divers autres dangers, tels que la profondeur de la tranchée et le maniement d’éléments lourds de blindage des parois, le tout dans un espace quelque peu contraint ; qu’il s’ensuit que l’encadrement de la société Gauthey, dans les personnes du chef de secteur et du chef de centre a créé la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter ; qu’en cela, il y a bien eu un manquement aux obligations de l’employeur, agissant par l’un de ses représentants titulaires d’une délégation de pouvoir en relation causale avec les blessures subis par M. X… ; que M. D…, directeur de la société titulaire d’une délégation de pouvoirs les plus larges en matière de prescriptions prévues par le code du travail et de réglementation en matière de sécurité y compris sur le plan pénal, avait subdélégué à M. Y…, chef de centre, et par ailleurs tuteur de M. X… ses pouvoirs et responsabilités pour faire appliquer la réglementation relative à la protection et à la sécurité des personnes, notamment pour que les consignes de sécurité soient connues du personnel de conduite et d’encadrement et qu’il soit veillé leur application effective en organisant le contrôle de celui-ci, en assurant la formation à la sécurité aux postes de travail, soit par le personnel même d’encadrement, soit par desintervenants extérieurs ; qu’il disposait pour ce faire de la compétence, de l’autorité des moyens nécessaires compte tenu de son niveau hiérarchique, sauf le seul pouvoir de sanction disciplinaire pour lequel il entrait cependant dans ses attributions de faire une proposition ; qu’il ressort de cette organisation que les manquements relevés ont bien été commis par des représentants de la personne morale agissant pour le compte de celle-ci ; qu’il s’ensuit que le jugement qui a renvoyé la société Gauthey des fins de la poursuite doit être réformé, que cette personne morale doit être déclarée coupable des délits qui lui sont reprochés et en répression condamnée à une amende modérée de 5 000 euros, tenant compte de ce que son organisation, toujours perfectible, n’en comportait pas moins un certain nombre de mesures tendant à faire respecter la sécurité sur ces chantier” ;

“1°) alors, qu’il résulte de l’article 121-2 du code pénal que les personnes morales ne peuvent être déclarées pénalement responsables que s’il est établi qu’une infraction a été commise pour leur compte par leurs organes ou leurs représentants ; que le seul fait qu’un salarié de l’entreprise se soit vu confier une délégation de pouvoir en matière de respect des règles de sécurité n’en fait pas nécessairement un organe ou un représentant au sens de ce texte ; qu’en se fondant exclusivement, pour dire que M. Y… devait être considéré comme un « organe ou représentant » de la société et que ses manquements pouvaient engager la responsabilité pénale de la société Gauthey, sur le fait qu’il avait reçu une délégation de pouvoir pour faire appliquer la réglementation relative à la protection et à la sécurité des personnes, la cour d’appel a violé par fausse application le texte susvisé ;

“2°) alors qu’il résulte de l’article 121-2 du code pénal que les personnes morales ne peuvent être déclarées pénalement responsables que s’il est établi qu’une infraction a été commise pour leur compte par leurs organes et leurs représentants ; qu’en statuant comme elle l’a fait, sans préciser en quoi les manquements commis par le chef de centre avaient été commis pour le compte de la société Gauthey, au sens de l’article 121-2 du code pénal, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;

“3°) alors qu il résulte du jugement entrepris, définitif sur ce point, que l’accident a été directement causé par l’inattention de M. E… qui avait pris l’initiative de déplacer le godet de la pelle mécanique qu’il conduisait alors qu’il ne devait pas le faire sans ordre exprès ; que la cour d’appel a par ailleurs constaté, d’une part, que M. X… avait suivi le 27 septembre 2007 une formation sur les principes généraux de sécurité à respecter sur les chantiers et, d’autre part, que le chantier au cours duquel l’accident est survenu présentait des caractéristiques telles que les ouvriers ne pouvaient éviter d’entrer dans le rayon d’action de la pelle ; qu’en estimant que la formation dispensée au salarié victime, M. X…, était insuffisante de sorte que la société Gauthey aurait manqué à son obligation de dispenser une formation pratique et appropriée sur la sécurité du travailleur et qu’elle avait, par là même, commis une imprudence fautive ayant causé l’accident et en ne précisant pas quels éléments d’information supplémentaires, par rapport à ceux reçus lors de la journée de formation du 27 septembre 2007, auraient pu et dû être dispensés au salarié, la cour d’appel n’a pas caractérisé le manquement de l’employeur et n’a pas justifié légalement sa décision au regard des textes visés au moyen ;

“4°) alors et subsidiairement, que le délit de blessures involontaires suppose l’existence d’un lien de causalité entre le fait reproché et les blessures subies ; que la cour d’appel a constaté que le chantier au cours duquel l’accident est survenu présentait des caractéristiques telles que les ouvriers ne pouvaient éviter d’entrer dans le rayon d’action de la pelle ; qu’il résulte, par ailleurs, du jugement entrepris, définitif sur ce point, que l’inattention de M. E…, qui avait pris l’initiative de déplacer le godet de la pelle mécanique qu’il conduisait alors qu’il ne devait pas le faire sans ordre exprès, était en lien de causalité direct avec ledit accident ; qu’en ne précisant pas, en l’état de ces constatations, en quoi M. X… aurait eu un comportement différent ni, par conséquent, en quoi l’accident survenu le 13 mars 2008 aurait pu être évité s’il avait suivi une formation supplémentaire, la cour d’appel n’a pas caractérisé l’existence d’un lien de causalité entre le prétendu manquement et l’accident et n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que, pour déclarer la société Gauthey coupable de blessures involontaires et de défaut de formation pratique et appropriée à la sécurité des travailleurs, à la suite d’un accident du travail subi par M. X…, salarié sous contrat de professionnalisation qui avait été blessé alors qu’il travaillait à proximité d’une pelle mécanique utilisée sur un chantier de l’entreprise, la cour d’appel, infirmant sur ce point le jugement entrepris, retient que M.F…, directeur de la société, titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière de sécurité, avait subdélégué ses pouvoirs à M. Y…, chef de centre, et que ce dernier, par ailleurs tuteur de M. X…, disposait, compte tenu de son niveau hiérarchique, de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires pour assurer sa mission ; qu’ils en concluent que le manquement à l’origine de l’accident, à savoir l’absence de formation appropriée du salarié aux risques liés à l’utilisation d’une pelle mécanique, a été commis par un représentant de la personne morale, agissant pour le compte de celle-ci ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, la cour d’appel, qui a caractérisé à la charge de la société poursuivie une faute d’imprudence et de négligence, commise pour son compte par un de ses représentants et en lien causal avec le dommage subi par la victime, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Qu’en effet, le salarié d’une société titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité, et comme tel investi dans ce domaine de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires à l’exercice de sa mission, est un représentant de la personne morale au sens de l’article 121-2 du code pénal, et engage la responsabilité de celle-ci en cas d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité physique trouvant sa cause dans un manquement aux règles qu’il était tenu de faire respecter en vertu de sa délégation ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que la société Gauthey devra payer à M. X… au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale


Président : M. Louvel

Rapporteur : M. Barbier, conseiller référendaire

Avocat général : M. Liberge

Avocat(s) : SCP Célice, Blancpain et Soltner ; Me Blondel

 

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